LA FABLE du CERCLE de CRAIE
La pièce de Brecht est une sorte d’apologue, une fable destinée à aider deux villages en guerre à régler leur conflit à l’amiable, à faire taire les armes pour laisser la place à l’imagination, au chant des possibles.
C’est cela, précisément, la fonction du théâtre, telle que l’envisageait Brecht et telle que nous la prônons aussi.
Les hommes ont besoin d’histoires et nous croyons à l’efficacité des histoires pour construire une pensée et aux vertus de la fable pour appréhender le monde.
C’est la raison pour laquelle le théâtre « épique » a notre faveur : c’est un théâtre qui raconte des histoires, parfois merveilleuses, souvent cruelles et bouleversantes. Des histoires qui montrent des hommes et des femmes qui luttent, se battent pour survivre, aimer, exister, assouvir leurs passions et réaliser leurs rêves. Des histoires qui montrent des hommes et des femmes aux prises avec le temps, l’Histoire et la société, qui sont confrontés à l’arrogance des puissants, le pouvoir corrupteur de l’argent, la violence des armes, les tentations de la lâcheté, l’égoïsme qui asphyxie ou la peur qui paralyse.
La pièce de Brecht comble notre désir de fable :
l’histoire est mouvementée, les péripéties nombreuses : révolution de palais, assassinat du gouverneur, fuite dans la montagne, traque des soldats, traversée du précipice, mariage forcé, épreuve du cercle de craie.
En 15 tableaux et 68 personnages, notre désir d’histoire est comblé !
Nous avons pourtant été amenés à adapter le texte de Brecht, à le raccourcir pour concentrer la fable sur les seuls épisodes relatifs à Groucha et sa lutte pour sauver l’enfant.
De l’histoire d’Azdak, qui constitue la deuxième partie de la pièce de Brecht et un retour en arrière un peu déroutant, nous n’avons retenu que l’épisode burlesque de son élection pour expliquer de quelle manière il s’est retrouvé sur le fauteuil du juge.
Nous avons également supprimé les textes narratifs, chantés et récités. Non seulement parce que nous voulions raccourcir la pièce dont la représentation intégrale dure environ quatre heures, mais parce que nous avons choisi de privilégier le jeu.
Le parti-pris d’une forme a également contribué à alléger les dialogues : ce sont les corps des comédiens qui parlent et dessinent les émotions.
L’espace du plateau est entièrement vide : un rideau constitue l’unique décor. Les comédiens, par la magie et la force du jeu, font naître les situations et convoquent le monde entier sur le plateau.
Nous souvenant enfin que Brecht s’était inspiré d’une vieille légende chinoise et que la source des théories de la distanciation se trouvaient dans le jeu traditionnel des comédiens japonais et chinois, nous avons placé notre fable du cercle de craie dans une lointaine Asie rêvée, entre Corée et Japon . Ce parti pris de mise à distance nous vient également de notre familiarité avec les méthodes du Théâtre du Soleil : éviter les pièges du réalisme qui tuent le théâtre.
Et pourtant, comme toutes les très anciennes histoires, celle du Cercle de craie nous parle de notre monde. Celui dans lequel nous vivons et qui est aussi en péril.
Nous nous sommes emparés de cette fable parce qu’elle nous raconte comment les destins individuels s’imbriquent avec violence dans les tumultes de l’Histoire.
Mais elle nous montre aussi comment résister pour empêcher qu’ils ne soient broyés.
Ces forces de résistance s’appellent courage, fidélité, compassion et attachement.
Dans un monde où l’individualisme forcené, égoïste et lâche, nous précipite vers notre perte, il est bon de rappeler que nous pouvons aussi être beaux, intelligents, accueillants et debout.