Le cercle de craie caucasien
Ecrite en 1945, pendant son exil aux Etats-Unis, la pièce, Der kaukasische Kreidekreis, s’inspirant d’une pièce de théâtre chinoise de Li Qianfu, Le Cercle de craie et du récit biblique, Le jugement de Salomon, aborde l’un des thèmes de prédilection de Brecht, à savoir la nécessité de la Bonté ou sa suffisance ; ou encore, comme il est constaté dans une autre de ses pièces, La bonne âme de Se-Tchouan,
« De l’impossibilité d’être humain dans un monde qui ne l’est pas . »
Le prologue et l’épilogue de cette pièce se passent dans un kolkhoze, le reste de la pièce est un récit dans le récit, raconté par les habitants du kolkhoze.
Que raconte l’histoire ?
Lors d’un attentat révolutionnaire, le gouverneur Georgi Abachvilli est assassiné. Son épouse fuit le palais en abandonnant leur fils Michel, encore bébé, qui est recueilli par une servante du palais, Groucha Vachnadzé. Mais l’enfant, héritier du trône, est pourchassé par les révolutionnaires. Groucha s’enfuit pour un long périple à travers le Caucase au cours duquel elle s’attire de nombreux ennuis à cause de l’enfant et fait de nombreuses rencontres : des soldats violents, la misère, la faim, la peur, le mépris. Pour survivre, elle est contrainte de se marier contre son gré et de trahir ainsi son fiancé, parti à la guerre. La révolution avortée, elle est toujours traquée par les soldats qui veulent désormais rendre l’enfant à sa mère « naturelle ». Mais Groucha s’est attachée à Michel et le considère comme son propre fils.
À qui l’enfant sera-t-il accordé ?
La mère est la femme du Gouverneur. Natella Abaschvili est riche et puissante ; elle a abandonné son enfant pour sauver ses vêtements, lorsque la révolte l’a obligé à fuir le palais.
Celle qui a recueilli l’enfant, Groucha Vachnadzé est une fille de cuisine : un brave cœur, pas vraiment une lumière ; elle a pris l’enfant, l’a sauvé, l’a nourri et l’a éduqué au péril de sa vie.
Le juge devra trancher : Qui est la vraie mère : celle qui donne la vie ou celle qui donne le lait ?
Dans la Bible, Salomon menace les deux femmes de couper en deux l’enfant qu’elles se disputent ; la légende chinoise place l’enfant dans un cercle dont chacune tente de l’arracher.
Dans la pièce, le tribunal, dirigé par un juge extravagant, Azdak qui s’est mis en tête d’appliquer la vraie justice, soumet également les deux femmes à l’épreuve du cercle de craie : la mère sera celle qui aura la force d’attirer l’enfant hors du cercle.
Brecht s’empare de la légende pour la mettre au service d’une critique sociale : elle est racontée par un vieux sage aux habitants de deux villages qu’un conflit de territoire oppose
Vous qui avez écouté l’histoire du cercle de craie,
Retenez l’avis des anciens :
Que toute chose au monde revienne à ceux qui leur sont utiles :
L’enfant aux êtres maternels pour être sûr qu’il vienne bien
La voiture au bon conducteur, pour que sans heurts soit le chemin
La vallée aux irrigateurs, pour qu’en fruits elle soit fertile.
( B. Brecht, Le cercle de craie caucasien , Epilogue )
Le cercle de craie caucasien est ainsi la seule pièce de Brecht qui n’envisage pas le problème social sous l’angle de la révolution mais sous l’angle de l’édification d’une société socialiste.
Brecht déplace la parabole biblique dans une zone limitrophe du Caucase, un pays au carrefour de l’Orient et de l’Occident, un pays abîmé par la guerre et la misère, déchiré par les luttes de pouvoir, une société fissurée où les hommes sont livrés à eux-mêmes, guidés par la violence, l’opportunisme, la peur et la lâcheté.
Et pourtant, le cercle de craie se présente finalement comme un conte, capable de réenchanter la réalité sombre et déprimée qu’il met en scène.
Comment ? Mystère du théâtre !